Par Vahé Zartarian, avril 2020, www.co-creation.net
Pierre Dac nous a mis en garde: « La prévision est difficile surtout lorsqu'elle concerne l'avenir. » Il n’empêche, je vais m’y essayer, en prenant le risque de me tromper bien sûr, et en espérant rester audible dans la cacophonie ambiante.
Alors pourquoi est-ce si difficile?
Une première raison est bien connue: l’imprévisibilité des innovations.
Moins connue mais plus fondamentale: le changement des valeurs au fil des générations, de sorte que même dans un contexte sans innovations, le futur reste incertain. Que voudront vivre les générations futures, individuellement et collectivement? À quoi assigneront-elles du sens, de la valeur? Par exemple, l’agriculture aura-t-elle encore un sens si la population humaine diminue notablement? Beaucoup préféreront peut-être retourner à un mode de vie nomade plus en contact avec une nature redevenue sauvage.
Ceci dit, peut-on tout de même émettre quelques avis sensés sur ce qui adviendra après cette crise du coronavirus? Découper ce siècle en trois devrait faciliter la tâche:
- le long terme, disons après 2050,
- le moyen terme, en gros de 2030 à 2050,
- le court terme, soit les quelques années qui viennent.
Beaucoup affirment que la sortie de la crise va inévitablement s’accompagner de profondes remises en question contraignant enfin à de ‘vrais’ changements. Pour ma part je suis plus dubitatif, et ce pour deux raisons que résument bien ces propos de deux grands physiciens:
- « On ne peut pas résoudre un problème avec le même mode de pensée que celui qui a généré le problème. » (attribué à Einstein)
- « Une nouvelle vérité scientifique ne triomphe jamais en convainquant les opposants et en faisant voir la lumière, mais plutôt parce que ses opposants finissent par mourir, et qu’il naît une nouvelle génération à qui cette vérité est familière. » (Max Planck)
Le premier point est bien illustré par d’innombrables ‘nouveautés’, certaines qualifiées même de ‘révolutionnaires’, qui s’avèrent n’être, à bien y regarder, que des avatars du paradigme mécaniste-matérialiste. Chacun trouvera facilement des exemples dans des domaines aussi variés que la médecine, l’agriculture, la technologie, etc.
La Vision du Monde dominante n’a guère changé au fil des crises précédentes, et ce n’est pas la dernière en date qui subitement va la faire changer. La citation de Planck explique pourquoi: une succession de générations est nécessaire avant qu’un réel changement imprègne suffisamment les consciences pour pouvoir s’incarner. Les crises provoquent des réactions immédiates du genre « ça ne peut plus durer », « plus jamais ça », mais elles ne sont pas par elles-mêmes créatives, sinon pour contraindre à se débrouiller au jour le jour pour survivre. Elles suscitent un besoin de changement qui, dans le meilleur des cas se traduit par l’appropriation d’idées nouvelles préexistantes, qui ensuite auront besoin de temps pour mûrir et se diffuser.
Donc, c’est quasi inévitable, aucun changement important ne se produira dans les années qui viennent.
Attention, je ne dis pas qu’il ne se passera rien, que tout ceci sera sans conséquences. Je dis juste que les évolutions que l’on observera seront des produits du mode de pensée existant, celui-là même qui a engendré les crises. L’histoire nous montre que des crises, même de grande ampleur, n’entraînent pas fatalement des changements majeurs. Par exemple, la première guerre mondiale, à quoi est venue s’ajouter la grippe espagnole, n’ont pas provoqué un changement de civilisation, seulement à faire la même chose en plus efficace en restant dans la vision matérialiste.
Notons qu’à l’inverse les périodes de calme relatif sont plus favorables à la créativité. Pour rester au début du 20e siècle, c’est avant les crises juste évoquées qu’ont eu lieu d’énormes sauts conceptuels en physique, en psychologie, en art, en philosophie, etc.
Pour en revenir à la situation actuelle, concrètement, la plupart des gouvernants prendront prétexte des circonstances pour renforcer le contrôle des populations. Sans retour en arrière possible tant elles auront été rendues passives à grands coups de menaces (culture de peurs en tous genres), de déconnexion de la réalité via les réseaux sociaux et autres mondes virtuels, ainsi que de saupoudrage d’aides pour fluidifier un minimum les relations sociales. Tandis que les mêmes gouvernants continueront de gouverner, et les financiers de faire de l’argent. Comme sur le fond rien n’aura changé, d’autres crises surviendront inévitablement, qui n’aboutiront à leur tour qu’à de nouveaux renforcements de tout ça.
Heureusement, quelques individus parviendront à garder une autonomie de pensée et de vie en se coulant dans des interstices. Mais cela aura un prix: soit une forme de schizophrénie entre garder un pied dans le monde ancien et mettre l’autre dans le nouveau, soit la solitude dans une forme d’érémitisme, soit un risque de surveillance accrue dans des Oasis, écovillages, ou autres lieux de vie collectifs (cf. Notre-Dame des landes).
À moyen terme, les choses sont beaucoup moins claires.
Si les disruptions provoquées par des crises successives sont importantes, viendront des temps troublés. Par exemple de grandes pannes électriques mettraient à bas les systèmes informatiques, donc les réseaux sociaux, les réseaux de surveillance, les réseaux d’approvisionnements... Remarquons que c’est dans ce genre de chaos que beaucoup vivent déjà au quotidien en Amérique Latine, en Afrique, au Moyen-Orient, etc. Donc les plus impactés par ces disruptions seront les pays les plus développés. Ce genre de chaos élargira les interstices où se développeront des modes de vie alternatifs. Mais qu’on ne s’y trompe pas, tous ne seront pas des Oasis de liberté et de fraternité. Surgiront en même temps quantité d’initiatives plus rétrogrades sur fond ethnique, religieux ou de simple survie du plus fort (l’éclatement de la Yougoslavie est encore proche).
Si en revanche les disruptions restent modérées, alors l’on s’acheminera de manière plus douce vers un changement en profondeur. La raison en est simplement que la population humaine est appelée à baisser, sans drame, parce que la fertilité et la fécondité baissent déjà, de même que l’immunité. Qu’elles qu’en soient les cause (pollution, pesticides, médicaments, ondes électromagnétiques, etc.) le moment viendra où les générations ne se renouvelleront plus. À partir de là tout sera vu différemment.
Finalement, sur le long terme, deux scénarios se dessinent:
Si aucune Vision alternative crédible et enthousiasmante n’a diffusé dans le collectif, alors l’on verra resurgir les vieilles recettes, à savoir: une société mécaniste s’il reste une organisation et des bases technologiques suffisantes, ou des théocraties, sans oublier les inévitables potentats locaux et autres seigneurs-saigneurs.
Si suffisamment d’individus ont profité des années qui viennent pour faire leur révolution intérieure, si des idées nouvelles ont suffisamment diffusé, alors l’on assistera à l’éclosion d’une véritable civilisation nouvelle.
Ce second scénario a évidemment ma préférence. C’est à cela que j’œuvre depuis des décennies dans mes recherches qui tentent une synthèse entre sciences de pointe, expériences en états de conscience modifié, spiritualités, épistémologie, histoire humaine sur le temps long... Tout ceci développé dans des ouvrages aux titres évocateurs: nos pensées créent le monde, le jeu de la création, vers l’homme de demain, l’esprit dans la matière, Kosmogonie la conscience créatrice. Fort heureusement, beaucoup d’autres œuvrent dans ce sens. Ce que l’histoire retiendra? mystère! Quoiqu’il en soit, c’est ici que ça commence, d’où tout le reste découle: qu’est-ce que la réalité? qu’est-ce que la vie? qu’est-ce que la conscience? qu’est ‘je’?
Vahé Zartarian
A lire aussi l'article complémentaire : La crise du COVID 19 va-t-elle vraiment « changer le monde » ?
Vahé,
Je ne vous connais pas, mais je suis très en phase avec vos propos. Les individus font le système et le système fait les individus. Il n'y aura pas de révolution, mais une évolution qui prendra du temps et qui améliorera progressivement les relations humaines et les relations Homme-Nature. N'étant jamais à l'abri d'une bonne nouvelle, on peut espérer que ces changements aient lieu au cours du XXIème siècle...
Bien à vous,
Rédigé par : Jean-Thierry Winstel | 14/04/2020 à 15:24