Voilà un aspect primordial de la solution aux diverses crises que traverse notre civilisation.
Après avoir démontré dans ma note du 6 décembre 2011 la nécessité de la « prospérité sans croissance » qui résumait la brillante analyse de Tim Jackson sur ce sujet, le texte ci-dessous résume les solutions préconisées par cet économiste anglais, complétées par ma propre proposition. Ces écrits sont inspirés de son livre intitulé « Prospérité sans croissance : La transition vers une économie durable », dont je vous recommande fortement la lecture si vous vous intéressez à une « autre » économie.
La question posée par Tim Jackson est très simple : « À quoi peut ressembler la prospérité dans un monde fini, dont les ressources sont limitées et dont la population devrait dépasser 9 milliards de personnes d’ici quelques décennies ? »
L’auteur donne d’abord sa définition de la notion de prospérité. Son étude du rapport entre le bonheur et le revenu annuel moyen confirme que « l’argent ne fait pas le bonheur ». En effet, une fois dépassé un revenu moyen proche de 15.000 $ par habitant, le niveau de satisfaction moyen de la population d’un pays ne réagit plus, même à des augmentations assez importantes du PIB. Par conséquent, les pays développés ont d’excellentes raisons de laisser aux pays pauvres l’espace nécessaire à leur croissance, car c’est dans ces pays que la croissance fait vraiment une différence sur le plan du bonheur. Il définit une société prospère comme une société au sein de laquelle la population dispose partout de la capabilité de s’épanouir sur certains modes élémentaires : santé physique et mentale, éducation, bien-être social, relationnel, travail utile, démocratie, …
Demander aux riches d’arrêter de s’enrichir pour laisser les pauvres prospérer est bien sûr un sujet très polémique. L’argument le plus redoutable utilisé contre cette approche est le concept du « découplage » qui consiste à faire plus avec moins en gagnant en efficacité, par exemple plus d’activités économiques avec moins de dégâts environnementaux grâce à de nouvelles technologies. Tim Jackson démontre que cette approche est très utile et même très importante pour permettre à notre civilisation de prospérer, mais que premièrement les politiques actuelles dans ce domaine ne font qu’effleurer la surface de ce qui pourrait être tenté et que deuxièmement rien ne démontre que cela suffirait à compenser les dégâts causés par la croissance. Il n’existe, à ce jour, aucun scénario de croissance permanente des revenus qui soit crédible, socialement juste, écologiquement soutenable dans un monde peuplé par 9 milliards d’habitants. En fait, le « découplage » est un argument facile pour justifier la croissance, mais relève de l’illusion.
La solution proposée par Tim Jackson est de tendre vers une société à la richesse matérielle globale stable tout en assurant l’amélioration du sort humain. Cela implique des évolutions radicales dans de nombreux domaines. Il propose pour cela les fondements d’une théorie macro-économique écologique suivants : assouplissement de l’hypothèse d’une croissance perpétuelle de la consommation, stabilité ou « résilience » économique, sécurité des moyens de subsistance des populations, équité dans la répartition de revenus, niveau durable de flux de matières, protection du capital naturel, dépendance de l’économie à l’énergie et aux ressources, plafonds en terme de carbone, remise à plat de certains équilibres économiques, par exemple entre secteur public et secteur privé, grande priorité donnée à l’investissement écologique, abandon de l’engouement pour la productivité du travail, création d’emplois dans les secteurs sobres en carbone … En résumé, il préconise que la civilisation humaine mette un terme à la folie qui consiste à dissocier l’économie de la société et de l’environnement.
Ce changement nécessite une évolution des motivations et des comportements des individus. Il faut sortir du piège social qui pousse la plupart d’entre nous à toujours vouloir plus de biens matériels pour garder son soi-disant statut social. Par exemple, posséder un téléphone mobile était au début des années 90 un signe de distinction sociale qui est devenu progressivement une obligation pour rester intégré à la société; le même phénomène se répète au début des années 2000 avec le smartphone. Le soit disant progrès social dépend du cycle auto alimenté de la nouveauté et de l’anxiété. Plus grave encore, comme le démontre une étude sur la base de données sur les pays de l’OCDE, la mortalité infantile, l’obésité, les grossesses précoces, les taux d’homicides et l’incidence des maladies mentales sont tous pires dans les sociétés moins égalitaires. Tim Jackson cite les résultats de réflexions et travaux de philosophes, psychologues, leaders culturels et chercheurs démontrant que l’homme est plus épanoui dans un monde moins matérialiste. Par exemple le philosophe Kate Soper propose la notion d’ « Hédonisme alternatif« . Anxieux d’échapper au système du travail et de la dépense, nous souffrons d’une certaine « fatigue causée par le désordre et le gaspillage de la vie moderne » et aspirons à certaines formes d’interactions humaines qui se sont érodées. Nous accueillerions volontiers des interventions rétablissant l’équilibre. Un glissement vers un hédonisme alternatif mènerait à une vie plus durable sur le plan écologique qui serait aussi plus satisfaisante et nous rendrait plus heureux.
Cette prise de conscience a entraîné l’émergence de communautés «intentionnelles », laïques ou spirituelles, au sein desquelles les gens se regroupent dans le but déclaré de mener une vie plus simple, plus durable. Mais ces communautés restent marginales. De plus les personnes à l’avant-garde du changement social, sont confrontées à l’influence de l’éducation, de leur environnement social et de la structure de la société. Par exemple, les enfants sont élevés dans l’esprit « génération shopping », accro aux marques, à la célébrité et au statut; les professions d’aide aux personnes sont moins valorisées et moins bien rémunérées; etc… Les leaders politiques et les médias contribuent au consumérisme en citant sans cesse en ces temps de crise économique la croissance comme « La solution » et en encourageant le shopping. Dans ces conditions, être vraiment vertueux sur le plan écologique et social revient à ramer à contresens des tendances de la société moderne.
Tim Jackson recommande de s’engager par conséquent dans un patient labeur de transformation sociale, avec un engagement des gouvernements et de ceux qui sont en mesure d’élaborer et d’influencer les politiques menées, suivant trois axes :
- Établir les limites : établir des plafonds de ressources et d’émissions et des objectifs de réduction; faire des réformes fiscales pour la durabilité, soutenir la transition écologique dans les pays en développement
- Réparer le modèle économique : développer une théorie macro-économique écologique basée en particulier sur le développement des activités et des secteurs sobres en carbone et intense en main-d’œuvre au lieu de stimuler la recherche permanente de productivité élevée; investir dans l’emploi, les technologies et les infrastructures écologiques; accroître la prudence financière et fiscale pour éviter les graves crises financières telles que celle de 2008; remplacer le PIB par un véritable indice de bien-être économique.
- Changer la logique sociale : réviser la politique du temps de travail en particulier par le partage du travail disponible et l’amélioration de l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée, lutter contre les inégalités systémiques de revenu (niveau de revenu minimum et maximum, taxation des revenus, accès à l’enseignement, lutte contre les discriminations, contre la criminalité, amélioration du cadre de vie dans les zones défavorisées), mesurer la capabilité d’épanouissement dans chaque pays ou région et dans les différents segments de leur population, renforcer le capital social (accès à des espaces publics partagés, à l’apprentissage, à l’information, à la culture, etc …), démanteler la culture du consumérisme et proposer des alternatives viables
L’idée de l’auteur n’est pas de détourner de la nouveauté pour nous jeter dans les bras de la tradition, il s’agit plutôt de trouver le bon équilibre entre ces deux dimensions essentielles de la condition humaine. Il n’a pas non plus l’intention de diaboliser les besoins individuels ou les rêves personnels, mais il s’agit plutôt de rétablir l’équilibre entre le soi et la société d’une façon qui restaure l’importance des biens publics et des bienfaits que leur fonctionnement apporte à chacun d’entre nous.
Tim Jackson conclut son livre ainsi : « Les dimensions de cette tâche sont à la fois personnelles et sociétales. Le potentiel de l’action personnelle – ou ancrée dans la communauté – est évident. Le changement peut s’exprimer par notre mode de vie, les choses que nous achetons, nos manières de voyager, nos choix d’investissement, nos activités de loisirs. Le changement peut aussi se réaliser à travers notre travail. Il peut-être influencé par notre comportement électoral et pas la pression démocratique que nous exerçons sur nos dirigeants. Il peut s’exprimer par un activisme de terrain et par l’engagement de la communauté. La recherche de la frugalité individuelle et de la simplicité volontaire a un rôle considérable à jouer … Une logique sociale meilleure et plus juste est à notre portée. Ni les limites écologiques, ni la nature humaine ne restreignent les possibilités en l’occurrence : seule compte notre capacité à croire dans le changement et à y travailler«
Ce livre pose les bases d’une nouvelle civilisation où les approches économiques, sociales, environnementales et politiques s’harmonisent pour permettre à la vie humaine de perdurer sur notre planète. Bien ! Mais comment entreprendre ce changement qui doit s’opérer à tous les niveaux de la pyramide de notre société : au niveau des personnes, des communautés, de chaque pays et en synergie au niveau mondial …?
Ne comptons pas sur les gouvernements nationaux qui agissent avec une vision et des moyens limités par rapport à l’ampleur des problèmes à résoudre. Ne comptons pas non plus sur notre système politique planétaire actuel constitué de nations traitant des problèmes de notre planète dans le cadre de l’ONU, de forums comme le G7, 8 ou 20, etc… Les impasses dans lesquelles se trouvent depuis plus d’un an la Syrie (tuerie de 15000 personnes à ce jour au yeux du monde entier), la remise en cause des fondements du système financier (qui perdure malgré les crises qu’il provoque à répétition) et les négociations des réductions de gaz à effet de serre (malgré l’extrême gravité de la crise climatique) démontrent l’absurdité et l’inefficacité de la gouvernance mondiale. Le changement ne viendra donc pas du haut de la pyramide.
Le changement viendra, vient déjà, du bas de la pyramide, de personnes et de communautés. Le changement est en marche, mais sans lignes directrices partagées et insuffisamment coordonnées. Un mouvement unifié ou au moins coordonné est à inventer pour mener à bien ce changement. Il doit prendre modèle sur l’histoire, comme par exemple le développement du christianisme, du bouddhisme ou du véritable communisme, … en ne retenant que les bons côtés bien sûr et en l’enrichissant des apports de l’ère moderne comme Internet et toutes les ressources du développement personnel.
Didier – Citoyen du Monde
Pour plus d’informations :
- La note complémentaire : Démonstration de la nécessité de la prospérité sans croissance
- Le livre : « Prospérité sans croissance : La transition vers une économie durable » de Tim Jacksonn, Edition Planète en Jeu.
- Communautés contribuant au changement de société : Incarnons l’Utopie !
- Un projet de société : Le Planétisme
- Un site web pratique sur le développement personnel : www.voies.net
Cet article a été repris sur le site des Ciyoyens du Monde : www.recim.org/dem/lib-fr.htm#12707